Il 27 e 28 giugno 2017, alla Maison de la poésie di Parigi, due artiste in duetto con la musica della Band Zëro hanno ridato voce alla parola di Pasolini, consegnata in particolare all’articolo I giovani infelici delle Lettere luterane e a brani dello scritto L’odore dell’India. Si tratta di Virginie Despentes, scrittrice nota per i volumi del romanzo Vernon Subutex, tradotto in Italia da Bompiani, e dell’attrice Béatrice Dalle, impegnate in un recital che, per il critico Yann Perreau, è stata un’esperienza spinta oltre la semplice lettura musicale verso i confini dell’emozione estrema e dello strazio per la crisi dell’Occidente.
Grazie a Michel Chomarat per la segnalazione dello spettacolo e della recensione.
Virginie Despentes et Béatrice Dalle rendent hommage à Pasolini
par Yann Perreau
www.lesinrocks.com -29 giugno 2017
Perché au balcon de la grande salle de la maison de la poésie, on peut observer ce soir un public hétéroclite. Un public que l’on trouve rarement aux événements littéraires, qui est plutôt celui des concerts punk ou metal : tatouages, cuirs, piercings and co. Certains sont venus pour Virginie Despentes, d’autres pour Béatrice Dalle, son acolyte pour ce spectacle.
Il y a aussi les admirateurs de Pasolini que la thématique, une lecture de textes du grand Pier Paolo, portée par la musique du groupe Zëro, a de quoi séduire. Relégués à des strapontins sur un côté tant la salle est comble, Anna Mouglalis, Arthur H. et Adèle Haenel pourraient faire partie des trois catégories.
On se souvient de cette lecture du Requiem des innocents de Louis Calaferte par Despentes, automne 2015, avec les même musiciens. Une création littéraire et musicale inoubliable, qui avait fait le tour des festivals de France. Le dispositif est quelque peu différent ce soir: à gauche l’auteur de Vernon Subutex, jeans et débardeur sombres, baskets blanches ; à sa droite Béatrice Dalle, plus habillée en look madone italienne limite femme fatale: veste et pantalon noirs, rouge à lèvres, lunettes, santiags.
Le duo regarde le public droit devant. L’actrice lance les hostilités, bras tendus en l’air : «Un des thèmes les plus mystérieux du théâtre tragique grec est celui de la prédestination des fils à payer les fautes des pères. Il importe peu que les fils soient bons, innocents, pieux : si leurs pères ont péché, ils doivent être punis!». On reconnaît les premières lignes de La Jeunesse malheureuse, ce texte scandaleux, polémique et violent, écrit par Pasolini moins d’un an avant d’être assassiné.
Prémonitoire des crises à venir de l’Occident, le livre devint après la mort du poète-cinéaste un véritable bréviaire de la révolte et de l’anticonformisme. Des boucles planantes de synthé (Wilo) accompagnent la voix haut perchée de Dalle; un son sourd de tuba psychédélique (Ivan Chiossone, claviers) accompagne cette mélopée.
Le désastre de tous les désastres
«Je condamne les fils, puisque je suis père!» s’emporte l’actrice, visiblement scandalisée par ce qu’elle lit. «Un de ces pères qui se sont rendus responsables, d’abord du fascisme, ensuite du régime clérical-fasciste et faussement démocratique, et qui ont fini par accepter la nouvelle forme du pouvoir, le pouvoir de la société de consommation, le dernier des désastres, désastre de tous les désastres!».
On a l’impression que c’est Pasolini lui-même qui vomit ces mots, là, devant nous. Le guitare débarque (Eric Aldéa), elle crie aussi la révolte, s’énerve, sature. Despentes lui répond de sa voix âpre, rauque, mais posée. Calme, comme si elle tachait de consoler sa partenaire: «Ma vie peut se manifester remarquablement, par exemple dans le courage que j’aurai de révéler à ces nouveaux fils ce que je ressens réellement à leur égard (…). Mieux vaut être ennemi du peuple qu’être ennemi de la réalité».
Les mots résonnent, comme autant d’assauts contre la bien-pensance, mais aussi contre toute forme d’adhésion illusoire à une “cause”: communisme, démocratie, révolution.
L’angoisse du lynchage
Parfois les deux voix se chevauchent ou s’unissent, en chœur ou en léger décalage. Les performeuses enchaînent sur un autre texte, où il est question de l’Inde et de colonialisme, extrait sans doute de L’Odeur de l’Inde, qui relate le voyage du cinéaste en 1961. Despentes fait entendre son pessimisme sombre, ces visions d’extrême misère. Presque réservée au début, elle laisse peu à peu ses mains danser au rythme de la musique. Ses hanches bougent tandis que le clavier s’emballe, ses pieds font de petits sauts comme un boxeur s’entraînant avant un combat.
Soudain elle se met à exclamer, suivant le beat saccadé de Frank Laurino à la batterie : «Obscur / obsession / de la masse … juke-box / en plein air / fort / candide». Dalle reprend de son timbre envoûtant. Elle nous emmène dans une banlieue de Rome, où Pasolini a comme un présage de sa propre mort, ce meurtre effroyable resté irrésolu. Elle murmure «l’angoisse du lynchage» mais le choix, «cependant, d’en rire». Et puis, épuisée, à bout de nerfs, elle se met à pleurer. Sans s’en rendre compte, continuant ce flux de mots qui ne s’arrête pas. Elle ne joue pas, c’est sincère.
Despentes lui répond de nouveau : «Ce 15 août, il remonte dans la voiture… Il sait qu’il n’a pas d’autre issue que d’accepter la fin / avec un peu de poésie». «Ma victoire, ma défaite, mon intérêt: tout est désormais derrière moi», conclut-elle. Et l’on comprend au bout du compte pourquoi ça marche si bien, ce tandem. Si l’écrivaine a l’intelligence et l’intransigeance lucide du poète, l’actrice apporte en effet cette part de compassion sensuelle, meurtrie et blessée, que Pasolini bénissait entre tout. Dalle incarne l’érotisme de la souffrance, Marie-Madeleine plus que la Vierge Marie. Cette synthèse impossible du catholicisme, du marxisme et de l’homosexualité que tenta le cinéaste italien jusqu’à la fin de sa vie.